Comment (bien) débuter une journée (3/3) : des emails à la TODAY list
“First thing first, and last thing not at all.”
Après le premier post de cette série consacré à l’importance des rituels dans l'organisation du travail et le deuxième à la description des trois premiers de ceux en usage sur l’île de Robinson où vit l’auteur (journal, classement des emails entrants et suivi des emails en attente de réponse), ce dernier post décrit les deux derniers rituels qui complètent cette façon de bien commencer une journée de travail : la planification des emails à traiter et la création de la TODAY list du jour.
Où en sommes-nous ?
Nous voici arrivés au troisième et ultime post de cette série consacrée aux rituels marquant le début d'une journée de travail selon Robinson. Le premier post a présenté l'intérêt des rituels et fait un survol général de ceux-ci, tandis que le deuxième post a explicité plus en détail les trois premiers rituels, consacrés au journal et au traitement des emails (entrants et sortants).
Cette première série de rituels nous a permis, moyennant une dizaine de minutes de travail, de nous mettre à jour sur deux sujets clés :
Qui nous a écrit depuis hier ? Pour nous demander quoi ?
Avons-nous reçu les réponses que nous attendions à nos demandes récentes ?
Ce que nous n'avons pas encore, cependant, c'est une planification de nos actions. Nous savons ce qu'on nous demande (le "quoi") mais n'avons pas encore décidé du moment approprié pour le faire (le "quand"). C'est l'objet des deux rituels suivants décrits dans ce post.
Comme dans le post précédent, chaque rituel est décrit en précisant sa motivation ("Pourquoi ?"), son déroulé ("Comment ?"), ce qu'il nous apporte et l'effort qu'il faut lui consacrer ("Bénéfices et coûts") et enfin en répondant à quelques objections possibles ("Oui mais, oui mais, oui mais...")
Rituel #4 : Revue des emails à planifier/à répondre/à faire
Pourquoi ?
Le deuxième rituel de notre séance de travail, "Ventiler les emails de la boîte d’arrivée", nous a permis d'isoler dans le flot des emails reçus ceux qui nécessitent notre attention parce qu'ils nous demandent quelque chose. Ce quelque chose, c'est d'abord une planification (décider du moment opportun pour satisfaire cette demande) qui sera probablement suivie d'une action (faire la chose demandée au moment choisi).
Ce quatrième rituel de notre série va s'occuper spécifiquement de la partie planification du quelque chose en question. Pour chacun des emails de nos trois dossiers "À planifier", "À répondre" et "À faire", nous allons prendre l'une des 3 décisions suivantes :
Planifier de le faire aujourd’hui, ou bien
Planifier de le faire plus tard (en décidant quand), ou bien
Remettre cette planification à plus tard.
Comment ?
Déclencheur | Fin du rituel #3 "Revue des emails en attente de réponse". |
Protocole |
|
Critère d'arrêt | Tous les emails des dossiers "À planifier", "À répondre" et "À faire" ont été revus en suivant ce protocole. |
Bénéfices et coûts
Ce qui rend le coût de ce rituel supportable, c'est de nouveau le principe de séparation de la décision (ici une décision de planification) de l'action proprement dite. Une telle décision ("quand ai-je l'intention d'agir sur ce que me demande cet email ?") peut (et en fait, doit) être rapide. Cette rapidité tient à deux facteurs :
On ne se préoccupe pas (encore) de faisabilité. Lorsqu'on décide durant ce rituel d'affecter par exemple la fourniture d'un devis à un client qui le demande à l'horizon temporel "cette semaine", on ne cherche pas à vérifier si l'ensemble de tous les items que nous avons jusqu'ici affectés à notre pauvre semaine sont faisables dans les quelques jours qui nous séparent de sa fin. Si ce n'est pas le cas, il faudra faire des choix, mais ce n'est pas encore le moment de les faire : pour l'instant on garnit le menu, la commande du repas viendra plus tard. Cette absence temporaire d'obligation de vérifier la faisabilité rend cette décision de planification beaucoup plus facile, et donc beaucoup plus rapide.
On trompe notre démon procrastinateur. Lorsqu'on ne sépare pas nettement la planification de l'action, ces deux éléments s'enchaînent, voire se confondent ("Ah oui, mince, le devis... Bon, je m'en débarrasse de suite.") Mais comme le coût de l'action (ici faire le devis) est à payer tout de suite avec cette approche, la tentation est grande (car bizarrement peu de gens ont comme passion dans la vie l'élaboration de devis) de dire plutôt "Ah oui m… le devis. Pfff. Faudrait le faire. Hmmm. Maintenant ? Heuuu. Oui, bon, on verra plus tard..." et de passer au mail suivant ou à tout autre chose. Le point commun avec le rituel proposé, c'est qu'on a remis la création du devis à plus tard. Mais ce qui fait toute la différence c'est que dans le premier cas on l'a remis à un horizon temporel donné, et dans le second on l'a remis sine die (ce qui signifiait "à la saint Glinglin" pour les romains, qui n'aimaient pas les calendes grecques).
On peut donc aller assez vite dans l'exécution de ce rituel, ce qui rend son coût supportable. En échange de ce coût, nous obtenons les bénéfices suivants :
Certaines actions rapides sont menées à bien grâce à la règle des 2 minutes. Ceci est particulièrement vrai des emails classés dans les dossiers "À planifier" et "À répondre", qui en moyenne (mais pas toujours) demandent moins de temps de traitement que leurs homologues du dossier "À faire". Accepter une demande de réunion, renvoyer un document qu'on a sous la main et qu'on nous réclame sont ainsi en général traités à ce moment-là. Attention cependant à ne pas se raconter d'histoires sur la durée estimée des 2 minutes.
Notre TODAY list est ébauchée au cours de notre parcours des 3 dossiers contenant notre stock d'emails À planifier/À répondre/À faire. Si nous y identifions quelque chose qui peut être mené à bien en moins d'une journée (une "tâche" dans la langue parlée sur l'île de Robinson) ET qu'il est juste et bon de mener à bien cette tâche aujourd'hui même, alors notre TODAY list s'enrichit d'une ligne nouvelle. Cette ligne n'est pas encore complète (elle le deviendra grâce à l'ultime rituel suivant), mais notre plan de journée commence doucement à prendre forme.
Certaines demandes plus complexes sont hébergées au sein de la TOUT DOUX List sous la forme d'un triplet [Quoi : la tâche ou le projet remis à plus tard ; Quand : l'Horizon Temporel visé pour son exécution ; Enjeu : les conséquences si on réalise ou pas cette chose-là à cet horizon-là]. Deux types d'emails en particulier appellent ce type de traitement. D'une part, les demandes relativement simples que nous prévoyons de traiter à moyen/long terme (càd pas dans les quelques jours à venir). D'autre part, les demandes complexes, au sens où elles devront être traitées après décomposition en plusieurs tâches élémentaires pour être menées à bien — ce que Robinson appelle des projets. Dans les deux cas, l'email qui leur a donné naissance peut être enlevé du dossier "À planifier/À répondre/À faire" (la TOUT DOUX list ayant maintenant pris le relais), ce qui permet d'éviter que trop d'emails ne s'y accumulent. Les informations utiles à l'exécution de la tâche ou du projet (par exemple le numéro de la personne à rappeler) pourront avantageusement être copiées dans l'item de TOUX DOUX list qui porte désormais nos espoirs d'exécution, de sorte qu'on n’ait pas à le rechercher dans l'email original au moment de faire le boulot.
Certaines autres restent à l'état d'emails en attente de décision mais pas hors de notre vue. La quatrième option face à un email à traiter au sein de "À planifier/À répondre/À faire" consiste tout simplement à... ne rien faire du tout et à passer à l'email suivant. Cela revient à "décider de ne pas décider”, du moins pas immédiatement. Ce que demande cet email ne sera pas exécuté tout de suite en moins de deux minutes. Il ne sera pas non plus inscrit dans la TODAY list comme candidat à l'exécution aujourd'hui même. Enfin il ne sera pas non plus migré vers la TOUT DOUX list pour exécution ultérieure. On juge simplement qu'il n'y a pas encore urgence à statuer sur son sort, et comme il se trouve dans l'un des dossiers "A planifier/A répondre/A faire", la force du rituel nous le mettra à nouveau sous le nez demain matin et tous les jours suivants jusqu'à ce que nous prenions une décision le concernant lorsque le moment de le planifier nous semblera venu. Ainsi un email arrivé mardi demandant à vue de nez 15 minutes de travail pourra demeurer dans "A faire" jusqu'à vendredi, jour où nous déciderons finalement de l'inclure à notre TODAY list. C’est donc l’option à privilégier pour les emails que nous ne souhaitons pas traiter aujourd’hui, mais à relativement court terme (quelques jours). Cela nous évite d’avoir à les inscrire dans la TODAY ou la TOUT DOUX list —il n’y a pas de petit profit— sans pour autant les perdre de vue.
En résumé, l'efficacité de notre organisation ici est basée, comme souvent, sur la décomposition d'un problème en un couple [question simple, réponse simple]. La question simple est ici "quand est-ce que je dois/veux faire ce que me demande cet email ?". La réponse associée est simple dans la mesure où elle ne comporte que quatre options élémentaires : le faire tout de suite en moins de deux minutes ; le planifier pour aujourd'hui ; le planifier pour plus tard ; remettre cette décision de planification à demain.
Cette dernière option (ne pas décider tout de suite) a pour conséquence de garder l'email en question au moins un jour de plus dans son dossier "À xxx". Il est clair que si cette option est choisie trop souvent pour un trop grand nombre d'emails, le volume du dossier qui les contient va augmenter régulièrement, ce qui génère une situation d'échec : nous aurons alors échangé une boîte d'arrivée obèse contre un dossier “À xxx" en surcharge pondérale — si les décisions ont un coût, les non-décisions également... Ma règle empirique sur ce sujet est la suivante : "ne jamais laisser la liste des emails dans l'un des dossiers 'À xxx' être plus longue que la taille de mon écran". Cela signifie que je dois à tout moment pouvoir tous les embrasser d'un seul coup d'oeil. Si ce n'est pas le cas, c'est que les plus anciens d'entre eux traînent dans ce dossier depuis trop longtemps, signe que je rechigne à prendre une décision de planification à leur sujet. Je m'oblige alors à planifier explicitement les emails qui "débordent" de mon premier écran, le plus souvent en créant des items leur correspondant dans ma TOUT DOUX list, voire dans ma TODAY list, où en les traitant en moins de deux minutes immédiatement. Les deux derniers cas sont beaucoup plus rares car si ces emails étaient aussi simples à traiter il y a fort à parier qu'ils n'auraient pas confondu leur dossier "À xxx" avec une maison de retraite...
Oui mais, oui mais, oui mais...
Si je dois finir par effectuer la tâche en question lors du rituel en moins de deux minutes, j'aurais mieux fait de le faire tout de suite lorsque j'ai vu cet email dans ma boîte d'arrivée ! Il est vrai que la différence peut sembler ténue, mais cependant l'expérience m'enseigne que c'est une fausse bonne idée. Vider intégralement sa boîte d'arrivée tous les jours est une condition nécessaire pour garder le contrôle de ce flux d'emails qui a la fâcheuse tendance à ne jamais prendre de pause. Ceci n'est soutenable qu'à la condition que cette opération soit peu coûteuse en temps. Le truc pour y arriver est vieux comme l'industrie : en faire une série d'opérations identiques les plus simples possibles et les répéter le plus vite possible (déplacer un email de la boîte d'arrivée vers cinq dossiers de destination possible, Poubelle/Archives/À planifier/À répondre/À faire). Le fait de s'arrêter dans ce processus pour traiter "en vitesse" un mail "facile" nous fait ressembler au Charlie Chaplin des temps modernes, c'est-à-dire perdre le fil de notre séquence et donc notre productivité. Le travail à la chaîne n'est certes pas un idéal, mais un travail chaotique non plus, et je rencontre suffisamment de personnes ayant fait l'expérience amère du burn-out pour m'en convaincre. J'en ai tiré la conviction que pour avoir le temps de réaliser correctement certaines choses importantes — ce qui est pour moi l'antidote au burn-out — il faut avoir la capacité de traiter vite et bien certaines autres tâches plus rébarbatives, telles que l'ouverture du flux de courrier électronique. C'est là qu'une dose modérée de travail à la chaîne est utile, si on veut être capable de trier l'ensemble des emails reçus lors des dernières 24 h en cinq à dix minutes.
On ne fait que déplacer (encore) le problème. C'est vrai que nous ne sommes pas encore dans l'exécution de ce qui nous est demandé, mais dans sa préparation, qui prend ici la forme de décisions de planification. Mais prendre ces décisions, c'est déjà faire bien avancer le sujet, contrairement aux apparences. En fait, de nouveau, c'est la métaphore de la chaîne de montage qui est éclairante : chacune des étapes sur cette chaîne n'est que partielle, mais elle nous fait avancer vers un meilleure exécution finale. Pourquoi meilleure ? Parce que celle-ci aura été effectuée au bon moment, c'est-à-dire pas trop tôt (ce qui serait au détriment d'autres actions plus urgentes) et pas trop tard (ce qui serait au détriment du demandeur, et par contrecoup de nous-mêmes si ce dernier nous sanctionne d'une façon ou d'une autre). La planification est donc clé, et ce rituel permet de lui donner toute sa place.
Prenons l'exemple des emails classés dans "A planifier". Par construction, ils demandent tous des décisions d'allocation de mon temps (par exemple accepter ou non cette réunion, aller ou non à cet évènement professionnel, déjeuner ou non avec telle personne de mon réseau). Ces décisions sont prises plus facilement, plus rapidement et de manière plus satisfaisante lors de ce rituel car alors je peux prendre dans une main mon agenda, et dans l'autre la pile des emails "A planifier". Comme j'ai déjà survolé chacun de ces emails pour décider de les classer dans "A planifier", j'ai déjà une petite idée de l'ensemble des demandes qui me sont faites, et de leur importance relative. Je peux ainsi éviter de m'inscrire au salon professionnel du 25 mars avant de réaliser que le chef du chef de mon chef me convoque le même jour pour un entretien qu'il m'est difficile de refuser (il veut certainement me féliciter personnellement, j'imagine). Ici aussi je travaille à la chaîne, en prenant à la suite des décisions de même nature, éclairées par le contexte global de mon emploi du temps qu'offre mon agenda.
Rituel #5 : Finalisation de la TODAY list
Pourquoi ?
Où en sommes-nous désormais ? Nous disposons d'une entrée de journal prête à recueillir nos hauts faits de la journée. Côté emails, notre boîte d'arrivée est vide. Les emails dont nous n'avons rien à faire sont au fond de la poubelle, et ceux que nous voulons simplement garder pour référence future sont dans un dossier Archives. Quant à ceux qui réclament notre décision et/ou notre action, ils sont ventilés en fonction du type de chose qui nous est demandé dans les trois dossiers "À planifier/À répondre/À faire". Certains d'entre eux ont été traités rapidement ("moins de 2 minutes"), et ils ont par conséquent été retirés ensuite du dossier "À xxx" qui les hébergeait jusque-là. D'autres ont été ajoutés à notre TOUT DOUX List pour exécution ultérieure, et enfin une autre partie a commencé à venir peupler la liste des choses à faire aujourd'hui même, notre TODAY list.
C'est cette TODAY list qui va focaliser notre attention dans cet ultime rituel matutinal. Nous allons nous attacher à la compléter afin de la transformer en un précieux copilote, notre petit GPS personnel qui va ensuite nous mener de manière sûre jusqu'à la fin d'une journée de travail satisfaisante.
Pour cela nous allons travailler sur deux axes, l'axe du "quoi" et l'axe du "quand", afin d'obtenir une liste de tâches que nous nous proposons de mener à bien au cours de la journée, munie d'un ordre d'exécution pour chacune d'entre elles. C'est exactement comme au restaurant : avant de commencer à manger, nous prévoyons et commandons non seulement ce que nous allons consommer, mais nous fixons également l'ordre dans lequel ces délices enchanteront notre palais.
Comment ?
Déclencheur | Fin du rituel précédent, la revue des emails à planifier/à répondre/à faire. |
Protocole |
|
Critère d'arrêt |
La TODAY list contient n items constituant notre plan de marche de la journée; Chacun de ces items est numéroté de 1 à n; ce chiffre représente l'ordre d'exécution de ces différentes tâches. |
Quelques remarques complémentaires :
L'endroit pertinent pour aller ainsi "faire son marché" est bien entendu la TOUT DOUX list si on est adepte de cette technique Robinsonissime (et plus précisément les items qui y sont associés à l'horizon temporel "cette semaine"). Et si on n’utilise pas la TOUT DOUX list, nous avons forcément rangé quelque part —fût-ce dans notre pauvre tête— la liste des choses que nous savons avoir à faire.
Il est important que chacun des items listés corresponde bien à une tâche fermée au sens de Robinson, c'est-à-dire possédant un critère de fin clair ("Envoyer le planning projet à Claire" ➜ OK ; "Réfléchir à une nouvelle organisation du service pour l'an prochain" ➜ KO car tâche ouverte : je peux y passer la journée entière sans avoir le sentiment d'avoir achevé quoi que ce soit). Truc pour transformer une tâche ouverte en tâche fermée : ajouter un budget temps ("Réfléchir 45 min à une nouvelle organisation du service pour l'an prochain.”)
La notion d’enjeu est plus précisément définie dans le post qui présente les principes de la TOUT DOUX list, mais quelques exemples ne peuvent pas nuire :
must : conséquence négative que je juge importante si je ne le fais pas d'ici ce soir (10% d'impôts en plus, engagement client non tenu, problème de sécurité) ;
should : pas de conséquence négative (pour le moment) si je ne le fais pas aujourd'hui, mais bénéfice que je juge important si je le fais (avancer sur mes révisions pour l'examen, faire 1/2 heure de veille concurrentielle, profiter de l'ouverture de la période des soldes) ;
could : pas de risque si je ne le fais pas aujourd'hui, pas non plus de youpi ! si je le fais (remplir ma note de frais du déplacement d'hier, prendre RV pour le contrôle technique de la Lamborghini, passer l'aspirateur dans le salon).
Les enjeux servent à faciliter l’étape 3 du protocole, où on classe les items par ordre d’exécution. La difficulté de cette étape augmente en effet exponentiellement avec le nombre d’items à classer. On commence par classer les items must (ce qui fait baisser notre stress) puis on enchaîne par les should (faisant ainsi avancer nos objectifs stratégiques) avant de finir par les could (s'il reste encore un peu de temps et d’énergie dans notre journée).
Bénéfices et coûts
Le coût de ce rituel est faible, de l'ordre de 5 à 10 minutes dans mon expérience. Une fois de plus, ce coût modique est la résultante de la décomposition d'une question relativement complexe — qu'est-ce que je compte faire aujourd'hui, dans quel ordre et pourquoi cet ordre-là plutôt qu'un autre ? — en plusieurs questions plus simples auxquelles on répond successivement : (1) qu'est-ce que je veux faire aujourd'hui (en vrac) (2) Pour chaque élément de cette liste, quelles sont les conséquences (positives ou négatives) si je fais/ne fais cela aujourd'hui et (3) que puis-je en déduire comme ordre d'exécution qui me garantit la minimisation de mes risques/de mon stress et la maximisation de mes bénéfices ?
Il faut de plus observer que le coût de ce rituel existe déjà dans nos journées sous une forme ou sous une autre : il faut bien que nous choisissions au fil de l'eau de faire ceci ou de ne pas faire cela, et qu'on le veuille ou non ce processus de choix a un coût lui aussi. Qui ne s'est jamais observé mettant 15 minutes (ou plus) à prétendre commencer une tâche qu'on finit par s'avouer ne pas avoir le courage d'entreprendre aujourd'hui ?
En reconnaissant ce processus de choix comme une partie essentielle au succès de notre journée, et en le concentrant sous forme d'un rituel simple et rapide à mettre en oeuvre, nous obtenons un certain nombre de retours positifs :
Un guide GPS pour notre journée. Une journée de travail, c'est comme un voyage en voiture. Les voitures modernes sont équipées de GPS, et la TODAY list est à ma journée de travail ce que mon GPS est à mon parcours : elle me conduit là où je veux aller (une journée de labeur satisfaisante) en m'indiquant le chemin optimal pour y parvenir (les différentes tâches à accomplir et leur ordre d'exécution, comme autant d'étapes). Je peux ensuite "prendre le volant" sans avoir à m'arrêter à chaque carrefour pour déplier ma carte (toujours du mauvais côté, vous avez remarqué ?). Si je fais cela, je mélange à l'excès des tâches d'organisation ("qu'est-ce que je vais faire maintenant ?") et des tâches de production ("je le fais"), au détriment de ma productivité et de mon confort. La TODAY list me protège de ce risque en concentrant toute l'organisation de ma journée dans un rituel unique pour ne plus avoir à y penser ensuite. Vous n'avez sans doute plus de cartes mais un GPS dans votre voiture : faites de même pour votre journée de travail.
Un remède à la procrastination. "Pourquoi procrastiner aujourd'hui, si on peut le faire plus tard ?", dit le sage. Dans la pratique cependant, nous sommes tous, à des degrés divers, des procrastinateurs (et je ne fais bien entendu pas exception). La question n'est donc pas de l'être ou pas, mais, l'étant, de l'être raisonnablement. Dans mon expérience, mon démon procrastinateur personnel intervient souvent entre deux tâches, c'est-à-dire quand j'ai fini quelque chose et que je me demande ce que je vais faire ensuite. C'est souvent à ce moment-là que je deviens très créatif pour entreprendre des choses que je regretterai ensuite. La TODAY list me protège de ce travers par le biais de la numérotation de l'ordre d'exécution des tâches : après la tâche 4, je fais la 5, tout simplement. Il arrive bien entendu que la tâche 5 ne m'enchante pas particulièrement, mais je sais alors que la tâche 5 porte ce numéro (et pas le 12) parce j'ai moi-même passé du temps dans un rituel ce matin même à déterminer que l'ordre optimal pour cette tâche-là était 5 et pas 12, par une logique que je comprends et que j'accepte. Cela (ajouté au fait que la tâche 5 est une tâche fermée et non ouverte) suffit à mettre en échec le procrastinateur en moi, en troquant ma petite résistance à la tâche 5 contre le plaisir de fin de journée de constater qu'elle est désormais rayée de ma liste.
Un réducteur de stress. La stratégie d'ordonnancement des tâches de la journée proposée par le rituel de la TODAY list est conçue pour réduire au maximum mon stress. En me faisant d'abord identifier spécifiquement mes tâches must puis en faisant en sorte que je les exécute avant les autres, je prends le moins de risques possibles. En effet, une fois que j'ai exécuté l'ensemble des tâches must de la journée, si celle-ci n'est pas encore terminée, elle est déjà un succès, car toutes les tâches restantes de ma liste ont comme caractéristique commune de pouvoir être remise à demain sans poser de problème particulier. Je peux alors soit les entamer d'un coeur plus léger, et ainsi diminuer le risque d'être pris à la gorge par elles à mesure que leur date limite approche, soit pourquoi pas décider que j'ai assez sué pour aujourd'hui et m'accorder un repos dont je pourrais jouir sans remord car les enjeux des tâches sur lesquelles je décide à cet instant de procrastiner me le permettent. Dans les deux cas, moins de stress, plus de bien-être.
Oui mais, oui mais, oui mais...
Cette belle liste théorique ne va pas résister aux imprévus qui ne manqueront pas de se présenter au cours de la journée. C'est tout à fait exact. Des imprévus risquent d'apparaître en cours de journée, sur lesquels il nous faudra prendre position. Mais de grâce ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain : loin d'être un obstacle, la TODAY list va au contraire nous aider à y faire face avec sérénité. Souvenons-nous de notre GPS. Que fait-il lorsque l'itinéraire qu'il nous a proposé est indisponible à cause de travaux ou de bouchons ? Loin de nous laisser tomber en boudant sur l'air de "ah ben si tu ne suis pas mes conseils alors débrouille-toi tout seul !", il nous propose une route alternative comme "meilleur plan B" si nous quittons le chemin initial. Idem avec la TODAY list : en cas d'apparition d'un imprévu, nous allons effectuer un micro-rituel permettant sa mise à jour. Notre but ici est de trouver un compromis entre deux choses possiblement contradictoires : (1) minimiser l'impact de l'imprévu sur notre TODAY list tout en (2) faisant en sorte que le traitement de l'imprévu soit adapté à son niveau d'urgence réel. On commence par se demander si l'imprévu doit être traité aujourd'hui, en totalité ou en partie. C'est une question importante, car il arrive qu'on confonde "imprévu" et "urgent" alors que ce n'est pas du tout la même chose. Si l'imprévu peut attendre demain, fin de l'histoire, du moins du point de vue de notre TODAY list. Sinon, au moins une partie de l'imprévu doit être traitée aujourd'hui. Il ne nous reste plus qu'à lui trouver un ordre d'exécution adéquat au sein de notre TODAY list actuelle, par exemple en tant que "6 bis", ce qui signifie que je prendrai soin de l'imprévu juste après avoir effectué ma tâche no. 6 et avant la no. 7. Nous avons maintenant notre "itinéraire bis" et cela nous a pris de l'ordre de 1 à 2 minutes. En réalité, notre TODAY list, loin d'être un obstacle au traitement des imprévus, s'est révélée être un outil précieux pour négocier avec ces imprévus (et leurs porteurs) le bon couple (quoi, quand) relatif à leur traitement.
Rien ne garantit que je pourrai réaliser tout le contenu de ma TODAY list d'ici ce soir. C'est de nouveau tout à fait exact. Mais j'ai une bonne nouvelle : ce n'est pas grave du tout. J'ai longtemps nourri un sentiment de culpabilité au cours de ma vie professionnelle et constatant le soir venu que je n’étais pas parvenu à venir à bout de la belle liste de choses à faire établie le matin. Jusqu'à ce que je me rende compte que c'était assez souvent impossible, pour deux raisons. La première est que nous ne sommes pas très bons pour évaluer avec précision et fiabilité le temps que va nous prendre réellement l'accomplissement de telle ou telle tâche de notre liste. Et la seconde est que des imprévus peuvent survenir. En conséquence, j'ai changé ma façon de considérer une journée comme réussie : elle l'est non pas si j'ai épuisé ma TODAY list le soir venu (quoique cela puisse arriver tout de même) mais si les choses que j'ai pu accomplir aujourd'hui sont plus importantes que celles que j'ai laissé de côté (j'appelle cela le principe de "non regret"). Autrement dit, si j'avais pu savoir dès ce matin que je ne pourrais accomplir que 5 des 8 tâches couchées sur ma TODAY list, c'est bien les cinq que j'ai finalement réalisées que j'aurai choisi de sauver, et aucune des trois autres. Ceci est la raison pour laquelle il est important de réfléchir et de fixer un ordre d'exécution dès le matin. Donc, un peu d'indulgence avec nous-mêmes : nous avons souvent les yeux plus gros que le ventre… mais en contrepartie, nous devons malgré tout garder une ‘alimentation’ équilibrée.
A quoi bon mettre des items could dans ma liste, il y a peu de chances que j'arrive à les mener à bien d'ici ce soir. Effectivement, il résulte de la stratégie de réalisation de la TODAY list proposée ci-dessus que les items dont l'enjeu est could se trouveront en fin de liste. Par conséquent, leurs chances d'être réalisés aujourd'hui seront logiquement moins élevées que leurs consœurs must et should. Faut-il pour autant y renoncer ? Je ne crois pas, car en dépit du point précédent il y a quand même des journées ou l'on vient à bout de sa TODAY list (en réalité cela dépend beaucoup du caractère de chacun, entre les enthousiastes qui ont tendance à estimer le matin qu'elles feront une tonne de choses dans la journée, et les prudents qui préfèrent une liste plus courte mais plus sûre). Quoi qu'il en soit, des items could non traités finiront tôt ou tard par voir leur enjeu être réévalué (par exemple, il viendra forcément un jour où le fait de ne pas avoir encore fait la paperasse de ma note de frais m'empêchera d'être remboursé de mes frais). Ce changement d'enjeu sera géré dans un premier temps par les rituels de la TOUT DOUX list, ce qui finira aussi par nourrir la TODAY list des mêmes items, mais cette fois munis d'un enjeu plus fort, ce qui les fera remonter dans la liste d'exécution. Toutefois, ceux d'entre eux qui auront pu être traités avant qu'ils ne deviennent vraiment urgents échapperont à ce surgissement à l'avant-scène de nos préoccupations, et ce sera toujours cela de gagné.
Conclusion : pourquoi “ne pas travailler” avant de travailler ?
Ça y est ! Nous sommes arrivés au bout de la description des rituels matinaux de Robinson ! Ceux-ci ont pour objet principal, on l'aura compris, de créer notre TODAY list pour la journée, non pas comme une corvée où l'on jette à la va-vite ce qui nous passe par la tête sur le dos d'une enveloppe avant de passer au "vrai" travail, mais comme un véritable guide qui sera notre co-pilote tout au long de la journée.
J'ai bien conscience, et je m'en excuse, d'avoir du expliquer pas mal de choses en chemin, et qu'au final, lire cette série de posts sera sans doute bien plus long que l'exécution des rituels qu'ils décrivent. Mais que voulez-vous, l’engouement pour TikTok n’a pas encore atteint l'île de Robinson, et j'ai la conviction que toute méthode dont on ne comprend pas les fondements finit tôt ou tard par être abandonnée.
Au final, si je tente de répondre à la question de savoir ce qui fait que je continue depuis plus de 10 ans à mettre en œuvre cette série de rituels tous les matins, les éléments suivants me viennent à l'esprit :
Ils m'aident à commencer ma journée, que j'en aie envie ou pas. On n'a pas forcément le feu sacré tous les matins, sans compter les jours où il y a sacrément le feu. Pour les premiers, le fait de démarrer la journée par une série d'activités ritualisées, pour lesquelles on n'a à se poser ni la question du pourquoi, ni celle du quoi, ni celle du comment est d'une grande aide. C'est un peu comme l'échauffement du sportif, avec lequel ces rituels ont beaucoup de points communs. Pour les seconds, ces rituels m'empêchent de plonger tête baissée dans la première urgence venue, quitte à le regretter ensuite. A la limite, si de telles urgences existent (ou sont perçues comme telles), et qu’on ne se sent pas capable d’y résister quelques dizaines de minutes, je recommande de les traiter le plus vite possible afin de libérer son esprit et d'enchaîner ensuite par les rituels décrits plus haut, même s'il est déjà 11h15 : la journée est encore jeune !
Ils maximisent mes chances d'être satisfait de ma journée le soir venu. Ma TODAY list est nourrie d'une part de la vue la plus à jour des informations qui me sont transmises (grâce notamment aux rituels liés à l'email) et d'autre part par une vue à 360° (ou plutôt multi-horizons temporels) de tout ce que j'ai à faire (via la TOUT DOUX list). Elle me permet donc de faire des choix pertinents et informés, à la fois sur ce que je vais faire aujourd'hui et sur l'ordre le plus intéressant pour le faire. Le soir venu, elle m'indique ce que j'ai pu barrer dans cette liste, mais même si ce n'est qu'une partie de ses items, je sais par construction qu'il valait mieux que j'exécute ces tâches-là plutôt que n'importe quelle autre. J'en retire donc un sentiment d'être davantage en contrôle des choses, ingrédient essentiel d'un certain bien-être au travail et dans la vie.
Ils m'aident à diminuer mon stress. On définit parfois, à raison selon moi, le stress comme "penser sans agir". Mais "agir sans penser” est aussi paradoxalement générateur de stress. Nous vivons dans un monde où nous sommes sollicités de toutes parts, et cependant nous ne pouvons faire qu'une seule chose à la fois. Une fois engagés dans une tâche choisie à l'intuition, nous pouvons être stressés par l'idée que nous ne sommes pas en train de faire la "bonne" tâche, que ce que nous faisons se fait au détriment de quelque chose de plus important que nous ne savons pas identifier précisément —sinon nous serions en train de le faire— mais dont le soupçon peut créer une charge mentale préjudiciable à la tâche en cours. Les rituels présentés ici proposent, sous une forme aussi compacte que possible, une façon de "penser avant d'agir" propre à déjouer ce piège subtil tendu à notre productivité et à notre bien-être au travail.
Une dernière observation pour finir : je ne connais pas de profession où la combinaison entre la qualité et la rapidité de l'intervention est cruciale, qui n'ait pas mis au point sa propre série de rituels préparatoires à l'action proprement dite, et qui sont la garantie de sa bonne exécution :
Les cuisiniers (mise en place des ingrédients et du matériel)
Les pompiers (sécurisation d'une zone d'intervention)
Les militaires (organisation d'un campement et du ravitaillement)
Les pilotes d'avion (checklist avant décollage)
Les chirurgiens (protocole de vérification qu'on fait l'ablation du bon rein)
Les musiciens (raccord avant concert)
Nous avons tous rêvé étant petit de devenir premier violon ou pompier... nous ne le sommes peut-être pas, mais nous pouvons au moins les imiter en nous dotant de solides rituels de début de journée !